L'ART DU NON-AGIR
WU-WEI
Une sensation d'espace
En chinois, Wu se traduit par rien, non-être, vide ou néant. Et Wei par agir.
Le taoïsme nous invite à prendre conscience de l’utilité du vide et de l’espace.
C’est d'ailleurs le vide d’un objet qui nous le rend utile : la pièce d'une maison, une cruche, une armoire…
Si nous nous entraînons à voir l’espace entre les choses au quotidien, nous pouvons peu à peu percevoir l’espace qui existe entre nos pensées, nos sensations et nos énergies.
De cette manière, nous exerçons le noble art du Wu Wei : faire sans faire, ou l'art du Non-Agir. Wei-wu-wei, autrement dit: agir sans agir.
Le Wu Wei désigne le fait d’agir en adéquation avec l'ordre de la nature. Mais on peut également dire qu'il s'agit d'agir à partir d’une sensation d’espace.
Dès le moment où nous avons créé de l’espace en nous-même, nous pouvons agir sans préjugé, sans attente, sans doute ni peur, et donc en conformité avec le flux naturel des choses. Nous devenons souple et flexible et nous nous ouvrons à davantage de possibilités et d’ouvertures.
Un temps de repos
Notre culture occidentale est focalisée sur l’action, la vitesse, la performance, les résultats, l'excès, la frénésie, les lumières et les foules.
Elle surinvestit le pôle yang et dévalorise le pôle yin: la lenteur, la patience, le vide, la solitude, l’intériorité, l’obscurité.
En cela, notre société est déséquilibrée.
Il ne s’agit cependant pas de remplacer une société extrêmement yang par une société exclusivement yin. Ce serait tout aussi nuisible.
Le non-agir ne signifie pas « ne rien faire ». Il est plutôt question de redonner une place au yin : accomplir une action et ensuite, plutôt que d’enchaîner avec la suivante, aller se reposer. Après une action vient un temps de repos; après le yang, il faut du yin.
Il s’agit également de ralentir et de cesser de vouloir exercer un contrôle sur les événements. Avoir des objectifs, c'est bien, à condition de ne pas se crisper ni de forcer quand quelque chose bloque.
Il y a un temps pour l'agir et un temps pour le non-agir. Quand on en fait beaucoup, il faut s’arrêter et s’asseoir.
Après avoir planté les bulbes, le jardinier a fait ce qu'il avait à faire ; il n’a plus qu’à attendre. Les fleurs pousseront d’elles-même.
Entrer dans le yin, dans le non-agir, les taoïstes appellent cela la « Rivière des sensations ». La phase Yin de tout travail est aussi importante et nécessaire que la phase Yang : c’est l’état de réceptivité, l’état aussi où le corps peut intégrer tout ce qui s’est passé.
Dans les pratiques que je donne, une place est toujours faite pour cette phase yin. Donner une place au yin dans la pratique aide à intégrer peu à peu cette habitude dans sa vie quotidienne.
Le non-agir permet à un processus créatif de se mettre en place.
D'ailleurs, la nature entière travaille, crée, puis aussi se repose.
Apprenez l'Art du Non-Agir à travers les cours que je propose: cours en présentiel à Bruxelles et programmes en ligne.
Le sentiment de sécurité
Une très belle parabole m’a été transmise par un de mes professeurs (sifu). Il s’agit de la parabole de la marmotte.
La marmotte est un animal plutôt tranquille qui se repose beaucoup. Mais il peut arriver un moment où son lieu de vie se met à manquer d’eau et de nourriture. La marmotte doit alors trouver un autre lieu.
Comme elle est très appréciée de ses prédateurs pour sa chair goûtue, elle doit être très alerte.
Elle se met à courir droit devant elle et ne s’arrêtera que quand elle aura trouvé un endroit regorgeant d’eau et de nourriture. Là, elle se posera et reprendra le cours paisible de son existence. Elle ne se remettra à courir que si sa survie en dépend.
Une étude en laboratoire a été faite sur les marmottes, lesquelles sont placées dans une cage équipée d’une roue du genre des roues à hamster.
Si les marmottes ne reçoivent plus de nourriture, elles vont instinctivement dans la roue à hamster et se mettent à courir comme elles le feraient dans leur lieu naturel. Comme elles courent sur place, elles n’arrivent bien entendu jamais à un endroit où elles peuvent trouver de la nourriture. Et elles courent jusqu’à en mourir littéralement.
On appelle cela le stress d’activité. La marmotte court jusqu’à trouver un lieu de sécurité.
Dans nos vies, nous sommes constamment en train de courir dans une roue à hamster.
Et comme les marmottes des laboratoires, nous nous épuisons à en mourir.
Mais quel est donc ce lieu de sécurité que nous recherchons ?
La plupart du temps, nous mettons notre lieu de sécurité en dehors de nous. Et nous nous activons sans relâche.
Mais tant que nous n’aurons pas trouvé le lieu de sécurité qui réside à l’intérieur de nous-même, nous continuerons de courir dans une roue à hamster, c'est-à-dire une voie sans issue.
La pratique du Tao nous enseigne à travailler sur notre sentiment de sécurité.
Ainsi, la technique des Yeux Doux et de la Force Douce (Yi), pratiquée régulièrement tout au long de la journée, permet une réelle transformation sur ce plan.
Imaginez un instant...
Vous avez trouvé votre lieu de sécurité à l'intérieur de vous-même. Vous ne ressentez plus le besoin de courir en tous sens. Vous êtes libre et vous commencez enfin à prendre les bonnes décisions et à faire les choix justes. Vous vous sentez à votre juste place, aligné.e, détendu.e.
N'est-ce pas là le vrai bonheur?
Le taoïsme: une conscience non polarisée
Le Tao se distingue des autres courants spirituels en ce qu’il ne recherche pas l’Illumination.
Il permet d’atteindre un niveau de conscience tout aussi élevé que celui qu’on atteint avec les voies spirituelles qui visent l’Illumination, mais il s’agit d’une conscience différente : plutôt que d’Illumination, on parlera de « Réalisation ».
L’Illumination travaille la connexion au soleil, qui illumine tout à l’intérieur de soi, en passant par la tête: c’est un mouvement descendant et qui s’arrêtent au niveau de la tête.
Les personnes qui recherchent l’Illumination ne s’intéressent généralement pas au corps physique.
La Réalisation pour sa part travaille la connexion à la terre.
Comme un arbre, les pratiquants du taoïsme s’ancrent et puisent l’énergie de la terre : la force sombre et nourricière.
C’est un mouvement ascendant. Ce mouvement ascendant se prolonge et va finalement également connecter au soleil.
Les taoïstes embrassent alors les deux pôles, comme dans le symbole du Yin et du Yang.
Il s’agit d’une conscience non polarisée : on se détache des extrêmes et on voit ce qui apparaît entre les deux.
Il y a là, encore une fois, la magie du Non-Agir qui opère. En n'agissant pas volontairement dans le but de s'illuminer, en visant de rester dans son corps et de travailler à sa Réalisation, on va finalement atteindre une forme d'Illumination. Agir sans agir; s'illuminer sans s'illuminer. Si l'on veut atteindre les hauteurs, il ne faut pas essayer de s'étirer vers le ciel, mais plutôt de descendre et de s'enfoncer dans la terre.
C'est un mouvement que l'on peut ressentir très concrètement dans son corps pendant le Chi Gong: c'est en poussant la terre avec ses pieds qu'on érige notre colonne vers le ciel. Je travaille beaucoup cette notion de force/contre-force dans les exercices. Elle est primordiale si l'on veut comprendre la philosophie taoïste qui permet d'atteindre un état sans effort, soit agir sans effort, agir sans agir... Et nous revoilà dans l'Art du Non-Agir.
Le Tao a souvent recours aux paradoxes : ils permettent d’exprimer cet état non polarisé.
Le taoïste cherche à trouver ce qui apparaît entre deux pôles : une force créatrice sans effort.
Tout le monde tient le beau pour le beau,
c’est en cela que réside sa laideur.
Tout le monde tient le bien pour le bien,
c’est en cela que réside son mal.
Car l’être et le néant s’engendrent.
Le facile et le difficile se parfont.
Le long et le court se forment l’un par l’autre.
Le haut et le bas se touchent.
La voix et le son s’harmonisent.
L’avant et l’après se suivent.
C’est pourquoi le saint adopte la tactique du non-agir,
et pratique l’enseignement sans parole.
Toutes choses du monde surgissent
sans qu’il en soit l’auteur.
Il produit sans s’approprier,
il agit sans rien attendre,
son œuvre accomplie, il ne s’y attache pas,
et puisqu’il ne s’y attache pas,
son œuvre restera.
Tao-te king, Lao-Tseu